Quel avenir pour le droit au bail ?

Quel avenir pour le droit au bail ?

Si le fonds de commerce se monnaie, il n’en va pas forcément de même pour le droit au bail, qui en est une composante. 

 Ce dernier est le prix moyen qu’un locataire est susceptible de tirer de la cession de son bail à un successeur. Il constitue la contrepartie économique issue des avantages tirés de la reprise d’un bail existant (clauses avantageuses, différentiel entre le loyer actuellement payé et la valeur locative de marché). 

Or, la prévalence de cette pratique historique des baux commerciaux a tendance à diminuer avec le temps. Actuellement, celui-ci représente en moyenne une à deux transactions sur dix, en agglomération parisienne. Les prises à bail récentes confirment une globale correction des valeurs locatives à la baisse, a fortiori pour les axes les plus touristiques. Knight Frank – dans une étude relative au marché immobilier des commerces 2021 – indique un risque de correction moyen pour 2022 relatif à de nombreux axes réputés : Avenue des Champs-Élysées, Boulevard Haussmann, Rue de Rennes … Corrélativement, le droit au bail se raréfie dans les transactions. 

 Le droit au bail est-il en passe de disparaître ? 

 La disparition du droit au bail est attendue à la faveur d’un contexte économique jusqu’ici maussade. La crise sanitaire actuelle a engendré une baisse considérable du flux touristique (-40% à Paris en 2020 !). Comment créer de la valeur en droit au bail en l’absence d’attractivité du fonds ?  

 L’activité est liée au flux, et in fine au droit au bail. Or, le flux est actuellement appréhendé de manière conjoncturelle et non plus sur le long terme ; le droit au bail doit composer avec des cycles économiques toujours plus courts. 

 Le local commercial est devenu la propriété d’investisseurs aux objectifs de rentabilité immédiate ; ces derniers le considèrent comme une poche de création de valeur à court terme. Aussi, nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à évincer leur locataire actuel, moyennant versement de l’indemnité d’éviction, pour faire payer plus cher son successeur et valoriser les murs dans un contexte de liquidités abondantes. 

 Même si le bail devait revêtir un intérêt certain, l’existence du droit au bail, basée sur la durée résiduelle du bail, ne coïncide pas avec les intentions de rotation des enseignes nationales. Auparavant, celles-ci avaient une stratégie de cannibalisation : privilégiant un maillage territorial fort, elles étaient prêtes à mettre le prix pour bénéficier d’un emplacement avantageux et pour longtemps.  

 Or, leur stratégie immobilière se fonde désormais sur la rentabilité : elles arbitrent ainsi leurs locaux. Les cessions de baux indiquent une baisse de rentabilité, et donc une dépréciation des locaux, réduisant d’autant le droit au bail. Aujourd’hui, seuls les indépendants gardent une vision long-terme d’implantation, savoir le développement d’un fonds de commerce en vue de la préparation de leur retraite future. 

 Dans la continuité d’une évolution constante des intérêts et donc des valeurs, l’accès à l’information s’est facilité. Mieux conseillées, les parties ont tout pouvoir pour ajuster au mieux leurs négociations et se rapprocher au mieux de la valeur locative de marché. 

 Dans ces conditions, le droit au bail n’est plus appelé à exister qu’en des cas limités. Nous citons notamment :  

  • Un emplacement exceptionnel impliquant une pérennité de la commercialité de l’emplacement. 
  • Un différentiel de loyer résiduel dans un contexte de baisse des valeurs locatives de marché. 

Plus largement, le droit au bail devrait être appelé à ne plus toucher que des activités au fonctionnement immuable, fondées sur la renommée et un concept statique savoir les CHR (cafés, hôtels, restaurants). Une enseigne commerciale vendant des produits de prêt-à-porter par exemple, ne bénéficiera pas d’une activité aussi stable. 

 Pour conclure, il est difficile d’envisager la pérennité du droit au bail. Ce dernier, fondant son existence sur un optimisme de la valeur locative à long terme, doit composer avec des modes de consommation et des stratégies immobilières privilégiant l’intérêt à l’habitude. Les aléas rendent la cession moins représentative qu’auparavant. 

 Si à l’avenir, la négociation du droit au bail sera un enjeu majeur, elle pourrait l’être non plus en son montant, mais d’abord en son existence-même. 

 

Réflexions croiséeentre David TORDJMAN (Consult’Im) et Clara TOUSSAINT (Expert)  

 

Clara Toussaint

Expert