La révision du loyer à la valeur locative en mode L. 145-39 : il y a loin de la coupe aux lèvres

La révision du loyer à la valeur locative en mode L. 145-39 : il y a loin de la coupe aux lèvres

Les loyers, indexés sur l’Indice des loyers commerciaux (ILC), connaissent, après une décennie de relative atonie, une forte progression depuis 2020.

À titre illustratif, l’ILC a progressé de 6,6 % sur un an (base 2T 2023) et de 14,2 % sur trois ans (même base). Ces progressions sont particulièrement significatives et s’inscrivent dans un contexte d’inflation généralisée ; mais également de tassement – voire de baisse – des chiffres d’affaires du commerce de détail suivant certains segments.

Dans les baux commerciaux, l’indexation annuelle automatique des loyers constitue désormais le standard de marché, la révision triennale légale qui ne revêt pas de caractère automatique et implique une notification préalable, étant largement délaissée par les rédacteurs de baux.

La progression des loyers par l’effet de l’indexation annuelle connaît actuellement une telle vigueur que l’attention des praticiens est portée, trimestre après trimestre, sur l’évolution des indices et le seuil de variation du loyer de 25 % qui ouvre droit à une révision du loyer à la valeur locative.

Les principales conditions d’applicabilité de l’article L. 145-39 du Code de commerce sont les suivantes

1) Quel est le seuil de déclenchement ?

La révision du loyer à la valeur locative est ouverte lorsque, par l’effet de l’indexation annuelle, le loyer a varié de + ou – 25 % depuis sa dernière fixation contractuelle ou judiciaire. En pratique, il s’agira de la date de prise d’effet du bail ou d’un avenant ayant modifié le prix.

2) Sous quelle forme la révision peut-elle être demandée ?

La révision peut être demandée par lettre recommandée avec accusé de réception, l’exploit d’huissier n’étant pas obligatoire. Elle prend effet à compter de sa notification, sans préavis.

3) Qui peut la demander ?

Le bailleur, ou le preneur, peut demander la révision, dès lors que les conditions ci-dessus sont respectées et…qu’il y a intérêt (cf. infra).

4) Tous les baux commerciaux sont-ils concernés ?

Les baux commerciaux contenant un loyer fixe et une clause d’indexation annuelle peuvent recevoir l’application de la révision de l’article L.145-39 du Code de commerce. En revanche, les baux contenant une clause de loyer binaire avec minimum garanti et part variable ne peuvent faire l’objet d’une révision du loyer minimum garanti à la valeur locative.

5) Quelles sont les effets de la demande de révision ?

La demande de révision, lorsqu’elle est fondée, entraîne la révision du loyer à la valeur locative à effet immédiat, avec un effet dissymétrique pour le bailleur et le preneur. Lorsque la valeur locative est supérieure au loyer ayant varié de + 25 %, la fixation du loyer à la valeur locative sera soumise aux dispositions du «lissage du loyer», suivant lesquelles le rattrapage s’effectuera uniquement par paliers de 10 % l’an à partir du dernier loyer indexé, jusqu’à atteindre la valeur locative. La hausse sera bien immédiate, mais progressive. Lorsque la valeur locative est inférieure au loyer ayant varié de + 25 %, le loyer révisé sera fixé à la valeur locative, le dispositif du «lissage du loyer» ne s’appliquant pas à la baisse. La baisse, sera aussi immédiate, mais brutale.

À la différence de la révision procédant de la modification matérielle des facteurs locaux de commercialité prévue à l’article L.145-38 al. 2 du Code de commerce, le dispositif de l’article L.145-39 présente pour principaux intérêts l’absence d’interprétation de ses conditions d’application et la simplicité de sa mise en œuvre.

S’agissant de l’ILC, le législateur a cherché depuis 2022 à en limiter la progression :

  • en modifiant en mars 2022 la composition de l’indice par l’exclusion de l’évolution du chiffre d’affaires du commerce de détail qui représentait 25 % du panier, motif pris de l’inclusion de la progression alors spectaculaire du e-commerce.
  • en limitant depuis août 2022 la progression annuelle à 3,5% pour les PME.

Ces différentes mesures, ayant successivement consisté à modifier le mercure et à plafonner la graduation du thermomètre, ont eu pour effet immédiat de limiter la hausse des loyers. Ils ont cependant pour effet secondaire de retarder l’atteinte du seuil de 25 %, notamment pour les PME, dont les loyers indexés ne subissent pas la pleine progression de l’indice ILC.

Concrètement, les baux éligibles à la révision du loyer suivant l’article L.145-39 du Code de commerce sont, en novembre 2023, ceux dont la dernière fixation contractuelle ou judiciaire remonte au second trimestre 2011. La portée actuelle du dispositif s’avère à ce jour très limitée, les baux d’une durée initiale de 9 ans ayant déjà pu faire l’objet de demandes de renouvellement «à la baisse».

Le déclenchement de la révision par millésime est résumé ci-après à partir de l’indice du deuxième trimestre.

Pour que la fenêtre de tir s’ouvre significativement, l’indice devrait être fixé, en prolongation de la tendance annuelle passée, à 134 au 3T 2023, puis 136 au 4T 2023 (à paraître fin mars 2024). Les révisions éligibles porteraient sur les baux conclus en 2015, rendant le dispositif alors effectivement efficace. S’agissant toutefois de prospective, on paraphrasera utilement Pierre DAC qui rappelait avec sa malice coutumière qu’«une erreur peut devenir exacte, selon que celui qui l’a commise s’est trompé ou non».

📚 Publication dans l'Argus de l'Enseigne, N°65, Novembre 2023

Benjamin Robine

Expert près la Cour d'Appel de Paris - Gérant