Locaux d’enseignement : une classe d’actifs boostée par les preneurs

Locaux d’enseignement : une classe d’actifs boostée par les preneurs

Le point sur le marché des locaux d’enseignement par Étienne BRILLAND – MRICS et Clara TOUSSAINT à retrouver dans la rubrique Carré d’experts de la Lettre M² d’octobre ! 🍁

➡ Un marché porté par la capacité financière de ses preneurs
➡ Un marché de l’investissement bicéphale
➡ Les contraintes d’exploitation et l’adaptation de l’offre
➡ Quelques critères à apprécier pour la valorisation

La population étudiante française a connu son essor dans les années 1990, avec 1 717 000 étudiants en 1990 contre 2 785 000 étudiants à la rentrée 2020. L’offre d’enseignement s’est adaptée avec une croissance des effectifs concentrée sur les établissements privés (dont le nombre a doublé depuis 1998).

Que représente le marché des locaux d’enseignement, en plein essor ?

1) Évolution du marché et dernières opérations

Écoles privées indépendantes, groupes d’enseignement, grandes écoles : ces établissements français comme étrangers, gérés dans une optique de croissance, recherchent constamment de nouveaux locaux. Le marché est d’ailleurs en pleine expansion : en 2022, l’APUR indique que ces locaux représentent 11,7% des surfaces bâties parisiennes (dont 30% sont des universités)[1].

Pour satisfaire cette demande, les investisseurs développent de plus en plus des immeubles adaptés ab initio à cet usage en raison de la qualité de signature que représentent les établissements d’enseignement privés. Ces derniers profitent de la hausse du nombre d’étudiants, disposent très tôt dans l’année d’une trésorerie avec le règlement des frais de scolarité en une ou plusieurs fois et voient leurs étudiants s’engager généralement sur plusieurs années.

Cette demande à la capacité de financement importante privilégie les locaux de moyennes et grandes surfaces. Les grands campus occupent une part importante. En 2020[2], 49 310 m2 de locaux d’enseignement d’une surface supérieure à 1 000 m2 ont été placés dont 26% de surfaces supérieures à 5 000 m2.

Ce nouveau marché reste toutefois relativement bicéphale, avec :

  • D’une part, les grands groupes d’enseignement ayant la possibilité de concrétiser de grands projets via des fonds d’investissement / investisseurs institutionnels.
  • D’autre part, des écoles indépendantes ayant tendance à reporter leur demande sur l’offre de bureaux disponibles.

Face à cette nouvelle demande, des fonds d’investissement se diversifient sur le créneau de l’immobilier d’enseignement tandis que d’autres vont jusqu’à s’y spécialiser.

Le marché des locaux d’enseignement est donc demandeur et en manque d’offre adaptée mais se professionnalise à mesure de son développement.

Au demeurant, cette classe d’actifs subit des contraintes réglementaires et techniques particulières.

2) Quelles contraintes d’exploitation ?

Les locaux d’enseignement doivent notamment respecter les normes ERP type R (construction, aménagements intérieurs etc.), de catégorie 1 à 5 en fonction de leur capacité. Ils sont particulièrement impactés par ces normes en raison de leurs ampleurs superficielles et du nombre de personnes reçues dans les locaux. Le coût des aménagements liés à la mise en accessibilité aux personnes handicapées ou à la défense contre les incendies peut s’avérer être très important.

De manière générale, les contraintes budgétaires liées aux normes ERP de type R dépendront également de l’élévation du bâtiment. À titre d’exemple, les bâtiments comportant au plus un étage sur rez-de-chaussée sont exemptés de désenfumage des circulations horizontales. Au-delà, le coût des dispositifs de désenfumage s’accroît à mesure de l’élévation du bâtiment.

De nombreux immeubles devraient ainsi à l’avenir être construits ou restructurés pour l’usage initial d’enseignement, avec une appétence des investisseurs pour des actifs aisément modulables afin de limiter le coût de leur conversion en ERP type R.

À Paris, les locaux d’établissements d’enseignement reconnus par l’État devront avoir une destination d’Équipement d’Intérêt Collectif et Services Publics (suivant le PLU) et de bureaux ou locaux commerciaux pour les autres. Les actifs dont la destination d’origine est EICSP devraient d’autant plus facilement trouver acquéreur / preneur.

3) Une valorisation adaptée

En matière d’expertise, l’immeuble ou le fonds de commerce présente donc des spécificités dont il faut tenir compte dans le processus d’évaluation.

La très bonne solvabilité des écoles supérieures leur permet ainsi d’afficher une meilleure capacité contributive auprès des vendeurs / bailleurs de locaux. Leur positionnement économique est contracyclique et défensif : leur financement repose sur l’engagement, souvent sur plusieurs années, d’étudiants payant leurs frais de scolarité en une ou plusieurs fois. Les revenus sont donc récurrents et en augmentation constante, avec un taux de marge élevé variant en fonction des enseignements dispensés.

Ce positionnement très sécuritaire participe d’une valorisation élevée du fonds de commerce dont le rapport flux futurs / risque / croissance est très équilibré. De ce fait, le fonds de commerce d’une école privée peut atteindre une valeur vénale allant de 10 à 14 fois l’EBITDA.

Les transactions de grands portefeuilles d’écoles ont ainsi connu leur essor dès les années 2010. En 2015, le groupe STUDIALIS (comprenant notamment l’ESG ou encore le cours Florent) a été cédé pour 250 millions d’euros soit plus de 12 fois l’EBITDA. En 2019, la plus importante opération du secteur a été réalisée avec la cession du groupe INSEEC U pour un multiple de 14 fois l’EBITDA.

Ces multiples sont susceptibles de différer en fonction de plusieurs variables. Classement, nombre d’étudiants, nombre de publications, nombre d’enseignants-chercheurs, image de marque, puissance du réseau d’alumni, histoire…

La nature de l’établissement influe également sur la valorisation du fonds de commerce. On distingue ainsi les établissements privés visés supra des établissements d’enseignement supérieur associatifs. Ces derniers ne raisonnent pas en chiffre d’affaires et rentabilité mais en budget et en recettes ; ils ne versent pas de dividendes lesquels sont tous réinvestis.

Le marché des locaux d’enseignement est donc en pleine expansion. Engendrant une tension nouvelle sur les actifs tertiaires, il est un important vivier d’opportunités pour les investisseurs. Ce dernier n’ayant pas encore atteint sa maturité, nombreuses seront les leçons à tirer des prochaines prises à bail et acquisitions …

 

[1] APUR, Atlas des activités à Paris – Inventaire immobilier, Mars 2022

[2] KNIGHT FRANK, Zoom sur l’immobilier d’enseignement – Une classe d’actifs en plein essor, Décembre 2021

 

 

Etienne Brilland

Expert associé