L’expert et le nouveau délit d’incitation à la fraude fiscale

L’expert et le nouveau délit d’incitation à la fraude fiscale

Les dérives des vidéos publiées sur les réseaux sociaux faisant la promotion de systèmes de fraude ont beaucoup fait parler ces derniers temps et poussent l’exécutif à réglementer et sanctionner plus sévèrement. L’exécutif réfléchit en effet à la création d’un délit d’incitation à la fraude fiscale pour poursuivre l’un des objectifs mis en avant du projet de loi de finances pour 2024.

Ce délit d'incitation à la fraude fiscale est mentionné à l’article 20 du Projet de loi de finances 2024 qui prévoit que :

 « Pour renforcer l'efficacité et la rapidité de la lutte contre la fraude fiscale, le présent article propose de créer un délit autonome de mise à disposition d'instruments de facilitation de la fraude fiscale, visant les personnes physiques ou morales qui mettent notamment à la disposition de leurs clients des moyens, services, actes ou instruments leur permettant de se soustraire à leurs obligations fiscales ».

Bien que le Code général des impôts prévoit déjà à l’Art. 1740 A que :

« Le fait de délivrer sciemment des documents, tels que certificats, reçus, états, factures ou attestations, permettant à un contribuable d'obtenir indûment une déduction du revenu ou du bénéfice imposables, un crédit d'impôt ou une réduction d'impôt entraîne l'application d'une amende.

Le taux de l'amende est égal à celui de la réduction d'impôt ou du crédit d'impôt en cause et son assiette est constituée par les sommes indûment mentionnées sur les documents délivrés au contribuable. Lorsque ces derniers ne mentionnent pas une somme ou lorsqu'ils portent sur une déduction du revenu ou du bénéfice, l'amende est égale au montant de l'avantage fiscal indûment obtenu ».

Cette sanction ne pouvait avoir lieu que lors d’un contrôle fiscal. La vraie nouveauté réside dans le fait de constituer un « délit autonome » qui permettra de sanctionner le professionnel en dehors de tout contrôle fiscal, alors même que le client destinataire de cette « incitation » n’a finalement pas commis de fraude. La sanction prévue serait de 3 ans d’emprisonnement et 250 000 € d’amende et s’appliquerait même en cas de mise à disposition gratuite.

Par réponse ministérielle du 19 septembre 2023, il est également précisé :

« En effet, les fraudes fiscales les plus complexes doivent beaucoup à l’intervention de professionnels (cabinets de défiscalisation, professionnels du droit et du chiffre indélicats, personnes ou structures commercialisant des montages illégaux…), qui communiquent et font la promotion de montages destinés à soustraire des contribuables à l’établissement et au paiement de l’impôt.

La mesure nouvelle envisagée consiste à créer un délit spécifique permettant, indépendamment de tout contrôle fiscal ou de toutes poursuites à l’encontre des clients, et de sanctionner ces agissements qui sont le terreau de la fraude.

Un tel champ d’incrimination devrait ainsi permettre de lutter contre la commercialisation, notamment sur internet et les réseaux sociaux, de schémas de fraude fiscale ou d’outils juridiques et financiers destinés à dissimuler des revenus ou patrimoine, sans qu’il soit nécessaire de démontrer que cette action de promotion auprès des clients ait été suivie d’effet.

Ce délit sera autonome de celui de la fraude fiscale, ce qui signifie, qu’à l’instar du délit de blanchiment de fraude fiscale, l’autorité judiciaire pourrait poursuivre sur sa seule initiative, ou également à la suite d’un signalement (article 40 du code de procédure pénale) ou d’une plainte de la DGFiP (sans autorisation préalable de la commission des infractions fiscales) ».

Le texte semble être une réponse aux « influenceurs » de la fraude mais l’expert en évaluation immobilière ne devrait-il pas se sentir concerné en tant que professionnel du droit et du chiffre ?

Ce projet de loi vient d’autant plus confirmer et renforcer les devoirs de l’Expert tels qu’inscrits dans la Charte de l’Expertise en Évaluation Immobilière, et notamment de :

  • procéder à ses opérations dans l'honneur, la dignité et la correction,
  • accomplir ses tâches en toute impartialité,
  • conserver son indépendance en excluant toute pression ou influence, conclure en toute conscience et bonne foi.

Sources :

1) Article 20 du Projet de loi de finances 2024 – relatif au délit de mise à disposition d'instruments de facilitation de la fraude fiscale

2) Sénat – Évasion des capitaux et finance : mieux connaître pour mieux combattre – Rapport n° 87 (2013-2014), tome I, déposé le 17 octobre 2013

3) 09/05/2023 – Gabriel Attal annonce une série de mesures de lutte contre la fraude fiscale et douanière, premier volet de la feuille de route gouvernementale de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques

Vincent Sae Heng

Expert associé